
L’année dernière, je discutais avec un gestionnaire d’une assez grosse entreprise qui fait face à une pénurie de main-d’œuvre et un très gros roulement de ses RH. Pour lui, le problème ne se situait pas au niveau de la formation.
Il m’explique alors :
Avec plusieurs centaines d’employés;
- son entreprise est évidemment assujettie à la Loi du 1%,
- l’entreprise a bien un programme structuré et informatisé de formation,
- …le tout supervisé par un département RH, exclusivement dédié à la formation.
Quand même!
Je voulais évidemment en savoir plus. Il me présentait alors ce « programme structuré et informatisé de formation ». Je constatais, comme c’est souvent le cas ailleurs, qu’il ne s’agissait que d’une série de documents PDF (accessibles sur portable via l’intranet de l’entreprise) et sur lesquels les employés devaient cocher « suivi », pour passer à la lecture suivante (… et signer la preuve légale que la compétence était « acquise »). Comme c’est malheureusement aussi le cas ailleurs, on remarque que le contenu de ces « formations » n’est constitué que d’énoncés de politiques internes ou de règles générales de conduite, plus ou moins en lien avec les activités concrètes des employés, dans leur travail quotidien.
Nous sommes alors éloignés du concept de « formation qualifiante » chèrement défendue dans l’esprit de la Loi du 1% (loi s’intitulant tout de même comme suit : Loi favorisant le développement et la reconnaissance des compétences de la main-d’œuvre).
Cette grande bannière se présente pourtant comme « une référence en matière de qualité de services », avec des « conseillers de niveau nettement supérieur à la concurrence »… Mais où est cette formation particulière qui donne cette « renommée distinctive » à l’entreprise et comment se transmet-elle concrètement aux employés? Comme dans la majorité des cas étudié, la transmission du savoir se fait selon une forme sommaire de compagnonnage. Mais cet aspect de la formation n'est pas aussi important que la preuve de lecture des politiques internes ou des règles générales de conduite.
Effectivement, il semble que tant que la matière inculquée est conforme et que les preuves des dépenses le justifient, l’entreprise concernée ne doit pas vraiment s’inquiéter. Par cette pirouette interprétative de la Loi, l’entreprise évite ainsi de payer sa taxe de 1% destinée au Fonds de développement et de reconnaissance des compétences de la main-d’œuvre. Mais est-ce vraiment payant pour la société comme pour l'entreprise?
Ces "preuves", semblent effectivement suffisantes aux yeux de mon interlocuteur d'alors pour justifier ne pas payer 1% de sa masse salariale au fisc québécois. Lorsque j’explique ce problème de définition d’acquis de compétences à mon administrateur de la chaîne il me répond : Ha ça ?!? Ce sont leurs collègues qui s’en occupent à leur embauche, selon un mode de compagnonnage plus ou moins formel. Il précise, ce n’est pas ça qui compte vraiment pour la Loi du 1%. Ce qui compte selon lui, ce sont les lectures officiellement reconnues comme lut par les employés, sur l’intranet de l’entreprise et les heures consacrés à la formation par les compagnons. Il ajoute même quel’aspect pratique de ces « formations à distance » c’est que les travailleurs peuvent les suivre dans le confort de leur foyer, sans être dérangés par le travail ou la clientèle… (…en espérant, bien entendu, que ces apprenants à distance soient rémunérés pour le faire…). Et c’est ça qui justifie l’entreprise pour ne pas payer 1% de sa masse salariale au fisc québécois? Bein woui, ça marche! S’exclame t’il tout gaiement. Candidement, il m’informait que c’est comme ça que ça fonctionne dans toutes les entreprises qu’il a connu dans sa longue carrière.
Bien oui, ça marche!
Ce n’est évidemment pas la première fois que je constate ces faits. Plusieurs entreprises contournent plus ou moins l’esprit de la Loi du 1%, en présentant un tel programme de formation, sans que son contenu soit réellement pris en compte par le fisc. Mis à part certaines formations assimilées à de « la croissance personnelle », il est assez difficile de contester que des politiques internes ou des règles générales de conduite ne soient pas reconnues dans le cursus de formation générale du personnel.
Dans le cas présenté précédemment, il existe pourtant bel et bien de la formation que nous pourrions considérer « qualifiante » selon des principes d’acquisition de compétences pratiques. Par ailleurs, ces compétences formellement identifiées et efficacement transmises pourraient justifier les prétentions d’excellence des services offerts à la clientèle et les signes de distinction de l’employeur auprès de ses propres employés. Parce que ce sont eux qui sont les premiers témoins de ces valeurs déterminantes.
Il s’agit, je le rappel, d’une grande bannière commerciale de niveau international, avec au moins une centaine de succursales à travers le Québec. Les contenus web de cette entreprise contiennent une masse d’informations ou même de supports didactiques qui pourraient avantageusement être inclus dans la formation de leurs personnels. Malheureusement, il n’en n’est rien! La vraie formation du personnel est informelle, minimaliste et transmise sur le tas par des collègues à qui des gestionnaires font confiance pour que la transmission du « savoir-faire exceptionnel » de cette grande marque soit communiquée à leurs nouvelles recrues.
Lorsqu’on discute avec les employés et même avec les « formateurs désignés » de cette entreprise on constate qu’ils n’ont aucune des compétences prétendues par la publicité de l’entreprise. Pire encore, les formateurs désignés détestent cette responsabilité. Selon leurs aveux :
· Ils sont incertains de leurs propres compétences…
· Ils ne savent pas quoi « montrer » à leurs apprenants…
· Ils ne savent pas par où commencer…
· Ils ne savent pas comment le faire…
· Ils ne savent pas comment évaluer l’acquisition effective des compétences…
Dans les faits, deux seuls éléments encadrent formellement la formation dans cette entreprise.
1. Les lectures des règlements sur l’intranet de l’entreprise pour leur déclaration au MRQ (…à faire chez-soi, sans rémunération!)
2. Le temps officiellement consacré à la formation (compagnonnage) pour développer les compétences pratiques minimales pour l’exercice des tâches du poste de travail concerné
Les formateurs doutent du sérieux de l’exercice et après un certain temps, les nouveaux employés partagent la même idée que leurs mentors. Très tôt, c’est le prestige du poste (de l’emploi) qui est remis en cause par la majorité des employés. Ils se considèrent eux-mêmes déqualifiés, lorsque ce n’est pas la clientèle qui leur rappel et ils entreprennent tous la recherche d’un autre emploi où ils pourront enfin développer de « véritables compétences » et « chercher de l’avancement ailleurs ».
D’un point de vue comptable et légal, « pirouetter avec l’esprit de la Loi, bien oui, ça marche! » Mais ce n’est pas très payant au bout du compte. D’un point de vue strictement comptable, on sauve ici 1% de la masse salariale en impôt, mais en dépense de 30% à 50%, en salaires de plus pour le roulement du personnel (selon Le roulement de personnel, ça coûte combien? | Mesurer le capital humain (wordpress.com))… La problématique principale de l’entreprise était (…et est toujours…) le roulement du personnel et la pénurie de main-d’œuvre. Et c’est, bien oui, en lien direct avec un problème de formation!
Mais encore
La semaine dernière je lisais un article de la Presse canadienne qui suggérait que les entreprises québécoises aimaient la Loi du 1% (Loi favorisant le développement et la reconnaissance des compétences de la main-d’œuvre). Cependant, ils dénonçaient du même coup la lourdeur administrative de cette loi (voir : Les employeurs aiment la «loi du 1%», mais demandent moins de paperasse (msn.com)).
Tel que souligné dans cet article -comme dans plusieurs études depuis l’instauration de cette Loi au milieu des années ’90-, dans les faits, la majorité des entreprises investissent bien plus qu’un pourcent de leur masse salariale dans la formation.
Le gros problème, selon plusieurs observateurs, c’est :
- la méconnaissance de la Loi elle-même et de l’intérêt objectif des entreprises à réellement investir dans la formation de leurs RH;
- à structurer cette formation dans un programme de formation intelligent;
- … ce qui faciliterait grandement la capacité de l’entreprise à répertorier formellement ces investissements -notamment par des logiciels très accessibles et performants-;
- …pour ainsi mieux identifier toutes les exemptions auxquelles ils ont droit;
- …puis, plus facilement en faire rapport au MRQ (Ministère du Revenu du Québec).
Un programme de formation -pour se conformer aux règles de la Loi- c’est déjà très bien! Mais intégré à un programme de gestion des compétences -pour faire croitre l’intelligence globale de l’entreprise- c’est encore bien mieux!
La gestion des compétences c’est une technique de gestion de la croissance d’un capital humain. Elle touche autant au savoir détenu par une organisation que ses compétences collectives et individuelles. Stratégie de développement des compétences et du transfert du savoir-faire, elle soutient une logique d’actions de formation générale capable d’intégrer les plans de carrières et soutenir la motivation du personnel dans le sens des besoins pratiques de l’entreprise.
Je prêche évidemment ici pour ma paroisse, mais le problème est maintenant posé :
o Est-ce que les employeurs visent seulement une exemption de la taxe du 1% en faisant reconnaitre des formations qui n’en sont pas tout-à-fait?
o Ou bien est-ce que les entreprises visent à devenir plus performantes dans l’économie du savoir qui s’annonce avec force?
Contactez moi si vous êtes dans le second groupe. Je suis vraiment la bonne personne pour vous aider à atteindre vos objectifs.
Daniel Rondeau
Comentários